Pauline T
Un mot, des orthographes
Dernière mise à jour : 22 nov. 2019
En français, il existe des milliers de mots qui peuvent s'écrire de différentes manières.
En jargon de correcteur, on parle d'usage flottant. Eh oui, car il y a la règle et il y a l'usage. Les tentatives autoritaires restent vaines, la langue française est vivante, et ce sont les Français qui la font vivre.
Alors, pour une fois, faites comme bon vous semble. Mais n'oubliez pas, il est recommandé d'exclure toute variation de graphie dans un même document, car cela accroche l’œil et finit par perturber la lecture.
Quelques exemples de mots à la graphie changeante :
- mot clé, mot clef ; mot-clé, mot-clef ;
- paie, paye ;
- agro-alimentaire, agroalimentaire ;
- basket-ball, basketball ;
- ledit, ledit ;
- nénuphar, nénufar ;
- téléphérique, téléférique ;
- pur-sang, pur sang ;
- saoul, soûl ;
- bistrot, bistro ;
- assoir, asseoir ;
- resto, restau ;
- cuillère, cuiller ;
- yaourt, yogourt, yoghourt ;
- cacahuète, cacahouète ;
- Iraq, Irak ;
- évènement, événement ;
- Daech, Daesh ;
- tsar, tzar ;
- tzigane, tsigane ;
- révolver, revolver.
Ce flottement trouve parfois sa source dans les rectifications orthographiques proposées par le Conseil supérieur de la langue française et approuvées par l’Académie française. Elles ont été compilées en décembre 1990 dans les « Documents administratifs » du Journal officiel. L'Académie française justifiait alors ces rectifications par une volonté "de résoudre les problèmes graphiques importants, d’éliminer les incertitudes ou les incohérences et de permettre la formation correcte des mots nouveaux qu’appelle le développement des sciences et des techniques. Elles rendront de surcroît l’apprentissage du français plus aisé et plus sûr." Bon, pour être précis, on doit surtout "remercier" Rocard, qui est à l'initiative de cette demande, pour qui la complexité française coûtait de l'argent à notre économie et mettait en difficulté tout le monde.
« Aucune des deux graphies ne peut être tenue pour fautive. » Académie française
Ce qu'on oublie souvent, c'est que l'Académie elle-même parle de règles d'application pour le corps enseignant et l'administration, mais de recommandations pour les autres. Le document de référence précise : "Les présentes propositions s’appliqueront en priorité dans trois domaines : la création de mots nouveaux, en particulier dans les sciences et les techniques, la confection des dictionnaires, l’enseignement."
Qu'en est-il concrètement ? Les manuels scolaires n'ont appliqué les rectifications de 1990 qu'à partir de la rentrée 2016 lorsque l'éducation nationale a reçu la directive de prendre enfin l'orthographe réformée pour référence, 25 ans après la publication officielle des rectifications ! Ils n'avaient sûrement trouvé personne à l'époque pour ingurgiter les 16 pages de listes indigestes. Ils se sont dit que ce document puait l'oignon (faut écrire "ognon" maintenant !) et ont préféré boire un p'tit coup de punch (faut écrire "ponch" maintenant !) pour se remettre de toute cette agitation linguistique ! Plus sérieusement, de leur côté, les dictionnaires mentionnent systématiquement les deux graphies des mots concernés.
Trente ans plus tard, je constate que ce qui devait simplifier l'application des règles n'a fait qu'ajouter de la confusion dans l'esprit des apprenants et alimenter des débats stériles (la guerre du nénuphar). En dehors des classes d'école, la tolérance orthographique est donc une évidence face à l'hésitation dans l'application de ces recommandations. Je constate depuis des années que certaines rectifications ont soulagé tout le monde (plus d'accent circonflexe, youpi !) et ont vite été adoptées, alors que d'anciennes graphies font toujours de la résistance. Je sens les tendances dans les travaux universitaires, mémoires et thèses surtout. J'y ai constaté très vite l'abandon des signes comme l'accent circonflexe ou le trait d'union. Quand on a 200 pages à écrire, tout est bon pour se simplifier la vie, ensuite le pli est pris. Quand vous avez écrit 30 fois "connait", il est difficile de revenir en arrière dans ses écrits au quotidien. Pourtant, ces mêmes étudiants rejettent spontanément, et comme beaucoup d'entre nous, les graphies "aout" ou "cout".
De manière générale et majoritaire, les Français restent attachés aux petites exceptions et autres curiosités qui font le charme de leur langue écrite. La question est de savoir si ces deux écoles ne creusent pas un peu plus l'écart entre nos apprentis écrivains qui se font dorénavant taper sur les doigts quand ils mettent un accent circonflexe et leurs aînés qui assurent le soutien scolaire de 16 h... Les enseignants eux-mêmes ne savent plus à quel manuel se fier. Et tous ne sont pas convaincus par cette application contrainte de la réforme depuis trois ans. D'ailleurs, ils ne sont pas les seuls dans le système scolaire, des manuels édités en 2019 et qui font autorité ignorent encore ou de nouveau, on ne sait plus trop, la réforme de 1990. Serait-ce un nouveau changement de cap ? Vous avez le mal de mer... Moi aussi.
En 1990, l'Académie française se laissait le droit de rectifier le tir après plusieurs années d'observation des tendances orthographiques chez les principaux intéressés, les Français ! Depuis, elle s'est contentée de clamer qu'elle n'était pas à l'origine de toute cette confusion.
Le débat reste ouvert, on ne pourra pas vous reprocher de choisir votre camp, partisan ou opposant à la réforme orthographique, mais on pourra crier à la faute si vous changez d'avis tous les deux paragraphes.
Vous trouverez la liste complète des mots qui ont subi un changement de graphie ICI, et qui se retrouvent ballottés entre réformistes et traditionalistes.
Et ICI l'intégralité des rectifications recommandées.
C'est drôle, je vous sens moyennement motivé pour lire ces 16 pages... Bon, en résumé, cela touche les points suivants :
– le trait d’union ou la soudure (on fait l'économie du trait, sauf quand cela fait naître un son inopportun) ;
– le pluriel des mots composés (on accorde comme pour les autres mots) ;
– la place du tréma (on le place au-dessus de la lettre qu'on prononce) ;
– le recours à l’accent circonflexe (on s'en débarrasse hormis quand il est la marque d'une différence de sens) ;
– l’accord du participe passé (on simplifie quelques exceptions) ;
– les étrangetés, incohérences et autres anomalies (on rentre dans le rang et on uniformise) ;
– l’accentuation et la marque du pluriel pour les termes empruntés (on fait comme pour tout autre mot français).
Quel que soit le travail d'écriture que vous entreprenez, vous avez des dictionnaires en ligne et les deux documents que je vous ai indiqués comme source fiable pour appliquer ou non les rectifications orthographiques en connaissance de cause. Nous avons aujourd'hui des outils de traitement de texte performants qui permettent d'opérer une uniformisation de graphie dans un document. En cours d'écriture, si vous vous apercevez que vous alternez entre "connait" et "connaît", vous disposez de la fonction Rechercher/Remplacer pour détecter rapidement toutes les occurrences concernées. Même chose pour toutes les autres variations.
Le correcteur est à votre écoute, si votre choix est arrêté entre orthographe réformée ou orthographe traditionnelle, exprimez-le au professionnel qui vient en soutien à votre travail de rédaction. Il doit respecter votre choix. Il n'y a pas de choix condamnable, juste des non-choix qui sont préjudiciables à la qualité de votre écrit.
