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Pluriel des noms apposés : une question piège ?

Dernière mise à jour : 9 août 2019

En grammaire, l'apposition est un procédé par lequel deux termes sont juxtaposés. Dans cet article, il sera question du pluriel des noms en apposition. Les mots composés de formation libre nous mettent en difficulté quand on doit les écrire au pluriel. Si j'osais, j'écrirais que les explications grammaticales énoncées par les spécialistes de la langue française sont incompréhensibles pour le commun des rédacteurs.

Allez venez ! Cet article n'est pas un guet-apens. Et promis, pas de réponses bidon !

La formation du pluriel de deux noms apposés est source d'hésitation quand on ne prend pas le temps d'analyser ce qui se cache derrière cette contraction de termes. La question à se poser est avant tout celle de la fonction du nom mis en second : substantif épithète ou complément de nom. Après cette petite analyse, tout devient simple... quoique...

Voici un premier éclairage apporté par des experts de notre langue, l'Académie française :

« Au pluriel [...], le nom apposé varie uniquement si on peut établir une relation d’équivalence entre celui-ci et le mot auquel il est apposé. Ainsi, on écrira Les danseuses étoiles regardent des films culte, car si l’on considère que les danseuses sont des étoiles (elles ont les mêmes propriétés qu’elles, elles brillent de la même façon), il est évident que les films ne sont pas des cultes, mais qu’ils font l’objet d’un culte. »




–Noms composés du type nom-nom variables

Quand un mot composé par deux noms apposés exprime un rapport de similitude ou d'équivalence, les deux termes prennent la marque du pluriel. Le second terme est semblable à un adjectif épithète. Cela devient en quelque sorte un « substantif épithète », un « nom épithète ». Le second nom qualifie le premier, il est une expansion du premier terme. Il pourrait être supprimé dans la phrase sans la déstructurer. On pourrait introduire « qui est » entre les deux termes apposés. Il y a équivalence ou similitude quand les deux éléments désignés sont comparables/similaires/identiques/équivalents par une certaine propriété. Les deux termes peuvent être reliés par un trait d'union ou non. La tendance est quand même au trait d'union dès lors que le terme est très usité et qu'il est introduit dans les dictionnaires.


Pour accorder correctement deux noms apposés, il convient donc de s'arrêter un instant sur ce qui ne s'est pas écrit, ce qui a été omis.

Des hommes-orchestres (cas de similitude), un homme qui joue de plusieurs instruments comme le fait un orchestre, des hommes qui sont des orchestres.

Des romans-fleuves (cas de similitude), ces romans sont longs comme un fleuve, un roman qui est un fleuve

Des chapeaux cloches (cas de similitude), ces chapeaux présentent une forme comme celle d'une cloche

Des robes meringues (cas de similitude), ces robes on un effet comme celui d'une meringue

Des danseuses étoiles (cas de similitude), ces danseuses sont des étoiles, des danseuses qui sont des étoiles

Des chiffres records (cas de similitude), des chiffres qui sont des records

D'autres exemples : des mots clés, des dates limites, des interrogations surprises, des produits phares, des appartements témoins, des idées forces, des formules types, des projets pilotes, des clients cibles.

On ne peut pas tous les citer, car ils surgissent par milliers chaque jour.

Les appellations de double fonction formées par des substantifs apposés (Nom + Nom) prennent

elles aussi très logiquement la marque du pluriel aux deux termes. Même chose, on pourrait introduire « qui est » entre les deux mots. Pour faire simple, si vous pouvez dire « il est boulanger et pâtissier », l'accord en nombre se fait.

Des boulangers-pâtissiers ; des maîtres-nageurs ; des chiens-guides ; des auteurs-compositeurs

des analystes-programmeurs ; des guides-interprètes ; des chauffeurs-livreurs.


Des canapés-lits (des canapés qui sont des lits) ; des montres-bracelets ; des camions-citernes ; des camions-citernes ; des chèques-cadeaux ; des paquets-cadeaux ; des bandes-annonces ; des papiers-mouchoirs ; des chèques-cadeaux ; des boutons-poussoirs.


Les noms composés sont aussi nombreux en zoologie ou en botanique : des oiseaux-mouches ; des requins-marteaux ; des choux-fleurs.


– Noms composés du type nom-nom invariables

Quand l'apposition est le résultat d'une omission de préposition (à, de, pour,...), le deuxième terme ne s'accorde pas en nombre, car il est considéré comme un complément de nom. Examinons dans un premier temps des mots que je dirais « lexicalisés » (usités, connus et reconnus avec un sens fixé par les dictionnaires) pour voir ce qui cache derrière quelques tours elliptiques.


Une pause-café ; des pauses-café : une pause pour le café, pour prendre le café

Un timbre-poste ; des timbres-poste : un timbre de La Poste, pour La Poste

Une bande-son ; des bandes-son : une bande de son

Du papier-toilette ; des papiers-toilette : du papier pour la toilette

Un chèque-essence ; des chèques-essence : des chèques pour l'essence

Notez dans ces exemples les traits d'union systématisés.


Mais il y a des cas de noms apposés qui divisent les spécialistes de la langue française. Exemples.

Citons le mot « bouton-pression ». On pourrait analyser le terme comme ceci : un bouton fermé par pression. Pourtant, le Grand Robert en ligne indique un pluriel régulier « boutons-pressions ». Alors que ProLexis (édité par Le Robert) indique une invariabilité du second terme : « boutons-pression ».

Même cafouillage pour lampe-halogène, annoncé avec un pluriel régulier pour Antidote, non reconnu par ProLexis. Quant au Robert, il mentionne « lampe à halogène » sans citer les cas d'apposition.

Pour un cuit-vapeur ou cuiseur-vapeur ; des cuiseurs-vapeur, l'invariabilité de l'élément final apposé est confirmée par Le Grand Robert. Ce qui est contredit par Antidote, qui accepte cuiseurs-vapeurs. Pour sa part, ProLexis ne reconnaît pas le mot. On pourrait ainsi multiplier les exemples à l'infini et confronter la prise de position des logiciels-correcteurs ou des dictionnaires.



Face à cette complexité d'analyse et d'accord, certains rédacteurs appliquent le « s » systématique, sans plus de nuance. Ignorent-ils volontairement les recommandations de l'Académie française ? En tout cas, l'usage flotte. Il tangue très fort même. On peut affirmer que les écrivains expérimentés refusent de s'arrimer aux recommandations de l'Académie française, alors que d'autres, moins éclairés, se laissent porter par le vent et nous écrivent des titres choc ou titres chocs selon... on ne sait pas trop quoi... ignorance, mimétisme, hésitation...

Si on s'arrête un instant sur le terme « choc », très sollicité par les journalistes (annonce choc, mesure choc, image choc), il est tantôt variable tantôt invariable sous leurs plumes. Pour illustration, voici trois titres extraits de la presse, mais on pourrait en énoncer des dizaines d'autres :

« Paris se vide de ses habitants : les annonces chocs de Ian Brossat », Le Parisien, 2018

« Édouard Philippe dévoile les mesures chocs pour le budget », Le Journal du dimanche, 2018

« Assurance-chômage : les mesures chocs annoncées par Philippe et Pénicaud », Les Échos, juin 2019

Ou

« Les images choc de la dispute entre Neymar et une mannequin brésilienne », L'Indépendant, juin 2019.

« Les images choc de CRS rouant de coups des Gilets jaunes dans un fast-food parisien », Le Parisien, décembre 2018. On note au passage que Le Parisien n'est pas constant dans l'application du « s ».



On aurait pu illustrer le propos par d'autres mots composés avec les termes « choc », « éclair », « bidon »,

« commando », « marathon », « miracle », « culte » qui souffrent de la même hésitation chez les écrivains contemporains. Selon l'Académie française, on écrit : des solutions miracle, des conseils bidon, des répliques culte, des réparties éclair, des opérations marathon.

– Feuilletons Le Grand Robert.

Il précise que « bidon » est un adjectif invariable... Pour les termes « choc » et « miracle », il consacre un paragraphe à leur emploi en apposition et, selon lui, les deux termes peuvent être un « élément final de noms composés (...) généralement invariable ». Pour « éclair », il indique des exemples d'appositions sans préciser l'invariabilité. Tous les exemples donnés sont au singulier, et pas de trace de trait d'union.

Seul « choc » a droit à son indexation à « -choc ».

– Consultons un dictionnaire des difficultés, le Larousse

Il résume la situation pour « choc » et « éclair » en ces termes :

« L'emploi comme épithète, immédiatement après le nom, est aujourd'hui fréquent. Le mot demeure invariable en genre, mais l'usage n'est pas encore fixé quant à l'accord en nombre et à l'emploi du trait d'union. On trouve des prix choc et des prix-choc aussi bien que des prix-chocs. » Il en fait donc des épithètes dans les appositions. La subtilité introduite par l'Académie française est passée à la trappe.


On sent bien que l'usage, s'il n'est pas fixé, tend à faire fléchir la règle qui a pour vocation de souligner une subtilité grammaticale, et de sens.

En effet, que comprendre de l'appellation « ingénieurs systèmes » écrite avec deux « s » au pluriel ? Les ingénieurs ne sont pas des systèmes. Leur métier est d'assurer la mise en place et la maintenance d'un système d'exploitation. Même interrogation pour les fonctions support.

– En aparté.

On rencontre des pluriels réguliers et irréguliers dans les unités de mesure, de statistique, de mesure,... Des années-lumière (distance parcourue par la lumière en une année... un peu long !)

Des kilomètres-heure (des kilomètres par heure, des kilomètres à l'heure). Des kilomètres-seconde.

Des kilomètres-voyageur ou kilomètres-marchandise. Distance de transport

Par contre, il est admis par tous qu'on doit écrire « mètres cubes », « mètres carrés »...

D'autres exemples pour la route :

– un porc-épic, des porcs-épics ; – un guet-apens, des guets-apens ; – un loup-garou, des loups-garous ; – une reine-claude, des reines-claudes ; – un bain-marie, des bains-marie. Il faudra se référer aux dictionnaires français pour ne pas tomber à pic dans les abîmes de la langue française.


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