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Dialogue : n'écrivez pas comme un amateur !

Dernière mise à jour : 9 août 2019

Ah, ils sont pratiques les dialogues... un tiret, trois mots, et hop à la ligne ! Un tiret, quatre mots, et hop à la ligne ! Que serait le roman sans les dialogues ? Des pages entières de description sans pouvoir approcher de près les personnages... Des actions qui s'enchaînent sans respiration... Des récits sans un souffle de réalisme ou de véracité. Vous voilà convaincu de l'utilité du dialogue. Mais maîtrisez-vous l'art du dialogue écrit ? Tout bon écrivain doit ciseler ses lignes de dialogue jusqu'à obtenir une dentelle verbale.


Les remarques qui vont suivre vous paraîtront naïves si vous entamez l'écriture de votre cinquième roman, mon propos s'adresse aux écrivains novices.



La typographie du dialogue

Quand vient le moment de l'écriture des séquences dialogales, mettez-vous bien en tête que la forme est aussi importante que le fond. La présentation d'un dialogue est régie par quelques conventions. Et les ignorer n'est pas un signe de génie littéraire !

Un simple coup d’œil sur la partie dialoguée d'un roman indique si l'écrivain est expérimenté ou amateur. Et les éditeurs ne s'y trompent pas. Il est très rapide de survoler les passages de dialogue pour jauger en deux minutes la dextérité d'un écrivain. Alors, comment soigner la forme ?


Pour commencer, voici les marqueurs typographiques du dialogue (voire polylogue) :


Les dialogues doivent être ouverts et clos par des guillemets français. Les changements d'interlocuteurs sont marqués par des tirets cadratins (un tiret long).

Je vais insister lourdement... Deux termes ont dû retenir votre attention : « guillemets français » et « tirets cadratins ». Donc, pas de guillemets à l'anglaise ("blabla") et pas de petits tirets (-) qui sont des traits d'union et non le signe typo d'une réplique. La réplique est la réponse, donc la deuxième ligne de dialogue.

Exemple :

« Je ne vois pas la différence, dit l'écrivain amateur.

Mets tes lunettes et ouvre n'importe quel roman publié. Et tu verras mieux ! insista la correctrice professionnelle.

Ah oui, tu as raison ! Je vois ce que tu veux dire maintenant. »

Cette présentation à la française complique la présentation des dialogues. On peut lui préférer une présentation avec tirets cadratins mais sans guillemets.


Le dialogue en discours direct doit être introduit dans le texte par deux points. Ils sont la marque distinctive entre deux séquences textuelles dans un même paragraphe.

Exemple : Elle finit son laïus sur les guillemets et tirets puis ajouta : « Tu as compris maintenant ?

– Oui, oui. Je vais pouvoir rectifier la typographie des 587 pages de mon roman. »


Ponctuer un dialogue

La ponctuation dans les dialogues met aussi très souvent les écrivains amateurs en difficulté. Elle doit être présente, réfléchie, précise. Elle donne l'intonation et le rythme au dialogue.

Dans les lignes de dialogue, alors que le correcteur automatique de Word incite à mettre une majuscule après un point d'exclamation ou d'interrogation (ponctuation haute), il n'en faut pas.

Et les fins de phrase commandent une virgule si elles sont suivies par une incise. Inutile de préciser qu'une majuscule est, par contre, nécessaire à chaque début de ligne. Lisez plutôt.

– Les incises ne commencent jamais par une majuscule ! s'exclama le correcteur.

– Ah bon ! Tu es sûr ? s'interrogea le romancier.

– Vérifie si tu veux, mais tout bon écrivain sait ça, lança le correcteur avant de reprendre sa lecture.



Les incises et le dialogue

Petit rappel introductif, l'incise est une proposition insérée dans la phrase ou rejetée à la fin pour indiquer qu'on rapporte les paroles de quelqu'un (dit-il, murmura-t-elle, ...).

Le recours à la proposition incise de narration est un subtil dosage difficile à trouver pour l'écrivain débutant. Quand en mettre une, où la positionner, que lui faire dire...

Les incises servent à identifier les interlocuteurs et à structurer le dialogue. Vous allez passer des heures à les choisir, pour qu'elles se fassent discrètes ! Les incises ne doivent pas être inutiles, redondantes, systématiques. Si l'échange entre les personnages est bien écrit, il est naturel, clair, pertinent et percutant. Les incises ne doivent pas couper le rythme ni détonner avec les paroles. Les tours de parole doivent être bien sentis, bien pensés de la typographie à la ponctuation en passant par le propos. L'écriture d'un dialogue demande autant de finesse qu'une description.


Pour résumer en extrait tous les points énoncés, voici un dialogue tiré du roman Les Piliers de la Terre de Ken Follett.


Il découpa une tranche d’oignon et la mangea avec une bouchée de pain. Agnès annonça : « J’attends encore un enfant. »

Tom s’arrêta de mâcher. Un frisson de plaisir le parcourut. Ne sachant que dire, il se contenta de sourire bêtement. Après un moment de silence, elle rougit et ajouta : « Quelle surprise, tu ne trouves pas ? »

Tom la serra dans ses bras. « Eh bien, dit-il, un bébé pour me tirer la barbe ! Et moi qui pensais que le prochain serait celui d’Alfred.

Ne te réjouis pas encore, répondit Agnès. Et n’oublie pas : cela porte malheur de nommer l’enfant avant sa naissance. »

Tom acquiesça. Agnès avait fait plusieurs fausses couches. Après un bébé mort-né, une autre petite fille, Mathilda, n’avait vécu que deux ans. « J’aimerais avoir un garçon, dit-il. Maintenant qu’Alfred est si grand. Pour quand est-ce ?

Après Noël. »

(…) Paragraphe narratif.

« Bon, dit-il d’un ton satisfait. C’est bien. » Il croqua une autre tranche d’oignon.

« Je suis trop vieille pour porter des enfants, dit Agnès. Il faut que ce soit mon dernier. »

(…) Paragraphe narratif.

« Je trouverai peut-être un bon travail dans une ville, dit-il pour la rassurer. Une cathédrale ou un palais. Nous pourrions alors avoir une grande maison avec des parquets de bois, une servante pour t’aider à t’occuper du bébé. »

Le visage d’Agnès se durcit : « Peut-être », répliqua-t-elle seulement d’un ton sceptique. Elle n’aimait pas entendre parler de cathédrale. (…)

Tom détourna les yeux et mordit à nouveau dans le lard. Il se sentait découragé. Il mâchonna un moment la viande dure sans rien dire. Soudain on entendit un cheval. (…)


Je voulais vous montrer un emploi de verbes introducteurs simples et de lignes de dialogue courtes. Les incises ("dit-il") se baladent discrètement dans le texte, on les oublie. L'écrivain ne les accompagne pas d'adverbes ("ment") maladroits. L'erreur commune est de mettre un verbe au pif sous prétexte qu'il a peu de valeur expressive : dire, répondre, répliquer, s'enquérir. Mais notez dans cet extrait : elle annonce, puis ajoute, il dit, elle répond, enfin elle réplique. Quand elle réplique, on sent un désaccord qui émerge. Une petite tension qui s'exprime dans la dureté du visage d'Agnès. Lui a du mal à digérer qu'elle réplique, il mord, il mâche, il se heurte à la viande dure. Il se tait un moment. Vous voyez que le choix des verbes de parole n'est pas anodin. Portez-leur autant d'attention qu'à vos verbes d'action.


Dernier aparté sur la forme, notez bien aussi la possibilité de mettre un point après l'incise et de reprendre le propos du dialogue ensuite (Ne te réjouis pas encore, répondit Agnès. Et n’oublie pas :).

Le défaut fréquent des jeunes scripteurs est une ponctuation anarchique dans les lignes de dialogue et la disparition du point. Structurez et ponctuez. Ponctuez et structurez. La ponctuation dit autant que les mots. Une ponctuation judicieuse rend superflues certaines incises de dialogue. Pensez Interrogation/Exclamation/Interjection.


Maintenant que vous savez comment insérer et présenter un dialogue, parlons de la fonction du dialogue dans un roman. Là encore, trouver le juste dosage entre les différents types de séquences textuelles est tout un art. Dans une vision simpliste, on vous dira que le dialogue apporte une aération visuelle dans la page, une respiration dans la narration, mais bien mené il est un peu plus que cela.



Le dialogue joue le rôle de révélateur sur plusieurs plans :


- Spatio-temporel : des indications de temps et de lieu sont distillées dans les lignes de dialogue. Quand les personnages parlent, ils disent au lecteur quelle est la situation.

- Psychologique : les paroles expriment, trahissent, dissimulent l'être du personnage.

- Émotionnel : les états émotionnels transparaissent lors des dialogues.

- Relationnel : les personnages entrent en interaction directe dans le dialogue.

- Intellectuel : les personnes extériorisent par le dialogue ce qu'ils pensent.

- Sociologique, idéologique, politique, philosophique ou religieux : les convictions se font jour dans les paroles. Par le dialogue, le lecteur perçoit qui sont les protagonistes du roman.


Le dialogue trouve aussi son utilité par deux principaux effets qu'il produit : l'effet de réel et l'effet de véracité. Pour expliquer simplement les choses, faire parler vos héros les rend réels, comme cela rend réels les lieux et la ligne temporelle passé-présent-futur. Les paroles dites confirment ou infirment la narration. C'est là que le lecteur confronte ce qui est raconté et ce qui est dit. Ce qui est su ou ignoré par les personnages.


Le dialogue a une fonction structurelle importante, il rend cohérente l'action, la structure et l'influe aussi. Le dialogue introduit une scène comme il la clôt. Il fait avancer l'histoire. Il provoque, dévie ou arrête l'action. À l'écrivain de choisir si le dialogue introduit une nouvelle situation dans le dialogue ou s'il confirme et s'inscrit dans la continuité de ce qui vient d'être narré.


J'ai beaucoup insisté sur les signes au début de mon propos. Arrêtons-nous un instant sur l'importance des mots. Une évidence ! Tant mieux. Vous savez donc que l'art du dialogue est d'exprimer sans faire dire et parfois de taire. Le dialogue permet de dire sans décrire. Vous ne me suivez plus ? Voici quelques derniers conseils incisifs.


- Évitez les incises redondantes et répétitives.

Tu n'as toujours pas fini d'écrire tes dialogues ? interrogea-t-elle.

– Non, toujours pas, répondit-il.

Le point d'interrogation indique déjà que c'est une interrogation... Incise redondante. Idem pour les "s'écria-t-il" après un point d'exclamation. Ce petit défaut de débutant génère un emploi répétitif des verbes de parole. Je vous assure que cela devient lassant après dix pages. Cela alourdit le propos et casse le rythme. On ne voit plus que ça. De bonnes incises sont transparentes, fluidifiantes.

Cet emploi abusif de l'incise mène très souvent à une dérive stylistique, le recours aux verbes non déclaratifs dans les incises. Explications.

Dire, répondre, reprendre, crier, murmurer, chuchoter, ce sont des verbes déclaratif, de parole. Rien d'anormal à les glisser dans un dialogue. Mais des verbes comme commencer, plaisanter, pleurer, renifler, râler, s'égosiller, ... ne sont pas des verbes déclaratifs. Les textes contemporains en sont bourrés. Ce qui donne : plaisanta-t-il, dit-il en plaisantant, pleurnicha-t-il, cria-t-il en s'égosillant. Certains écrivains se permettent l'utilisation de tous les verbes d'action en substitution aux verbes déclaratifs, avec des résultats plus ou moins réussis. Quand les verbes expriment des sentiments (protester, s'indigner), admettons, mais pour les autres, prudence ! Même conseil que pour les adverbes en « ment », à utiliser avec parcimonie.


Si les incises vous embarrassent, le plus simple est de ne pas en mettre. Voici un extrait du roman Rêver de Franck Thilliez. Aucune incise que ce soit dans les répliques courtes ou longues.

« – Vous avancez, avec cette histoire ? Il paraît qu'un gamin a été retrouvé.

– Il y a deux mois, en effet.

– Et les autres ? Des nouvelles ?

– L'enquête suit son cours.

Il paraissait gêné quand il rendit les clichés à son interlocutrice.

– J'espère que vous retrouverez celui qui a fait ça. Vous savez, les auteurs de romans policiers s'inspirent très souvent de la réalité, mademoiselle Durnan. Ils s'abreuvent de faits divers, de presse à sensation et de drames réels pour construire leurs fictions. Pour quelle raison souhaiteriez-vous rencontrer Josh Heyman?

Il a fait quelque chose de mal ? Vous voulez intenter un procès ? Vous savez, nous sommes une petite structure, ici.

Le ton et l'air de l'éditeur avaient changé. Il paraissait désormais affligé.

– Il n'est pas question de procès, répliqua Abigaël. C'est juste qu'il y a des éléments troublants dans son livre qui me concernent personnellement. (...) »


- Oubliez les adverbes systématiques.

Tu n'as pas mis trop d'adverbes dans ton texte ? demanda-t-elle gentiment.

Mais non ! Mon style est parfaitement bien ! répondit-il orgueilleusement.

Vous trouvez que j'exagère. C'est bon signe. Si je continue sur 5 lignes et 20 pages, vous ne verrez plus que les « ment » et vous ne pourrez plus vous concentrer sur les paroles retranscrites encore moins suivre cette conversation passionnante ! Le conseil vaut pour tout le texte, paroles, incises, descriptifs, ...


- Supprimez les salutations et banalités d'usage.

– Bonjour, tu vas bien ?

– Oui, et toi ?

– Très bien, je te remercie.

– Tu as fini l'écriture de ton livre ?

– Non, mais j'y travaille !

Épargnez au lecteur les platitudes d'une conversation banale. Si cela ne fait pas avancer l'histoire, effacez.

On a dit fluides et naturels, pas ennuyeux et creux. Les échanges doivent être vivants et rythmés... et intéressants.


- Écrivez des dialogues connotés mais sans abus.

Souvenez-vous, les paroles prononcées permettent au lecteur de saisir l'essence du personnage, sa particularité, ses intentions, motivations, pensées et émotions. Vous ne pouvez pas faire parler tous vos personnages de la même manière... Mais vous ne pouvez pas non plus tomber dans la caricature. Le vocabulaire et le registre de langue varient en nuances selon la personnalité, les caractéristiques et la situation de chaque personnage. Le ton et le rythme du dialogue sont aussi au service des fonctions citées plus haut. Le contenu doit paraître naturel, ni trop parlé ni trop soutenu. Convoquez le vocabulaire de la vie quotidienne... mais de la vie du personnage.

Choisir chaque mot avec une précision de chirurgien, c'est peut-être ça avoir un style. Et non pas noircir des pages de dialogue sans aucun sens de la repartie.

– Il n'y a plus qu'à !

– Plus facile à dire qu'à écrire...






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